Vous vous demandez probablement si cette épice dorée que vous utilisez dans vos plats pourrait avoir un impact sur le cancer. Je vous comprends parfaitement. Depuis des années, la curcumine et cancer font l’objet de nombreuses recherches, suscitant autant d’espoir que de controverse dans la communauté scientifique.
A RETENIR EN QUELQUES MOTS
Les recherches sur la curcumine et le cancer révèlent des résultats mitigés malgré l’engouement populaire.
- Les études in vitro montrent un potentiel prometteur contre plusieurs types de cancers (colorectal, sein, prostate)
- La biodisponibilité très faible limite drastiquement l’efficacité : seules des traces atteignent la circulation sanguine
- Les interactions dangereuses avec certains traitements anticancéreux nécessitent un avis médical obligatoire
- Les études cliniques humaines restent décevantes comparées aux résultats laboratoire
- Des effets secondaires graves ont été rapportés, notamment des problèmes hépatiques sévères
Le curcuma, cette racine originaire d’Asie du Sud-Est, contient un composé actif enchantant : la curcumine. Représentant environ 80% des curcuminoïdes, elle donne au curcuma sa couleur jaune orangée caractéristique. Mais attention, ne vous attendez pas à des miracles ! La réalité scientifique est bien plus nuancée que ce que certains voudraient nous faire croire.
Les propriétés anticancéreuses du curcuma : que dit vraiment la science ?
Les recherches en laboratoire révèlent des mécanismes d’action prometteurs. La curcumine agit théoriquement sur plusieurs fronts contre les cellules cancéreuses. Elle pourrait réduire leur prolifération, stimuler leur destruction programmée (appelée apoptose) et diminuer l’inflammation générale de votre organisme.
Une découverte récente m’a particulièrement interpellé : la curcumine active une voie de protection alternative dans les cellules cancéreuses colorectales. Elle augmente la production d’espèces réactives de l’oxygène qui conduisent à la production de miR-34, induisant un vieillissement prématuré des cellules tumorales.
« Les études montrent un potentiel intéressant de la curcumine sur différents types de cancers, mais nous devons rester prudents face aux résultats obtenus uniquement in vitro » – Dr Damien Polet
Les types de cancers étudiés incluent notamment :
- Cancer colorectal et du côlon
- Cancer du sein
- Cancer de la prostate
- Cancer du poumon
- Cancer du pancréas
Pourtant, je dois vous mettre en garde contre un problème majeur découvert en 2017. Le Professeur Bharat Aggarwal de l’université du Texas avait truqué les données de ses études pour les rendre plus probantes. Cette révélation a considérablement douché l’enthousiasme initial pour le potentiel anticancéreux de la curcumine.
Le défi de la biodisponibilité : pourquoi votre corps n’absorbe-t-il pas la curcumine ?
Voici le véritable problème qui me préoccupe comme médecin : la faible biodisponibilité de la curcumine. Imaginez que vous consommiez 10 à 12 grammes de curcumine. Selon une étude rigoureuse, seul un participant sur douze présentait de la curcumine libre dans son sang ! Cette épice si prometteuse en laboratoire se révèle décevante dans votre organisme.
Pourquoi cette déception ? Plusieurs facteurs expliquent cette biodisponibilité limitée :
| Problème | Conséquence |
|---|---|
| Faible solubilité dans l’eau | Dissolution difficile dans le tube digestif |
| Mauvaise absorption intestinale | Passage limité dans la circulation sanguine |
| Métabolisation rapide | Transformation en métabolites inactifs |
Votre foie, votre intestin grêle et vos reins transforment rapidement la curcumine en métabolites inactifs : curcumine glucuronide et curcumine sulfate. Ces derniers sont ensuite rapidement éliminés de votre organisme. C’est pourquoi les concentrations sanguines restent insuffisantes pour obtenir l’effet antiprolifératif souhaité.
« La différence entre les résultats prometteurs en laboratoire et la réalité clinique s’explique principalement par cette faible biodisponibilité de la curcumine chez l’humain » – Dr Damien Polet
Face à ce défi, l’industrie a développé diverses stratégies. L’ajout de pipérine (extrait de poivre noir) peut augmenter la biodisponibilité de 2000%. Mais attention : cette substance augmente la perméabilité intestinale et peut interférer avec le métabolisme de certains médicaments.
Quels traitements anticancéreux sont compatibles avec le curcuma ?
Cette question me préoccupe énormément, car les interactions peuvent être dangereuses. Si vous suivez un traitement anticancéreux, vous devez absolument consulter votre oncologue avant toute supplémentation.
Le curcuma améliore l’efficacité de certaines chimiothérapies contenant metothrexate, docetaxel (cancer du sein) et gemcitabine (cancer du pancréas). Par contre, il interfère négativement avec d’autres traitements comme le cyclophosphamide, les épipodophyllotoxines ou le tamoxifen.
L’explication est simple : la curcumine possède des propriétés antioxydantes qui peuvent réduire l’efficacité des médicaments agissant par génération de radicaux libres. C’est un mécanisme contradictoire que vous devez comprendre.
Vous ne devez jamais prendre de curcuma dans ces situations :
- Pendant un traitement anticoagulant
- Deux semaines avant et après une intervention chirurgicale
- Les jours de chimiothérapie et les deux jours précédents/suivants
- Durant une hormonothérapie
Je dois également vous alerter sur les effets secondaires graves. Des dizaines de personnes ont développé de graves problèmes hépatiques en Italie et en Belgique après prise de suppléments de curcumine, certaines nécessitant une admission en soins intensifs.
« La prudence doit primer : aucune supplémentation ne doit être entreprise sans avis médical lors d’un traitement anticancéreux » – Dr Damien Polet
Les résultats décevants des études cliniques humaines
Permettez-moi d’être franc avec vous : les études cliniques chez l’humain sont décevantes. Un essai sur des patients souffrant d’un cancer du pancréas avancé, avec 8 grammes de curcuminoïdes quotidiens, n’a atteint qu’une concentration sanguine de 22 à 41 ng/mL. Or, il faut des quantités mille fois plus élevées pour obtenir un effet antiprolifératif !
Seuls 2 cas sur 21 participants ont montré un effet positif, très transitoire pour l’un d’eux. De même, une étude sur le cancer colorectal avancé avec 3,6 grammes de curcumine pendant quatre mois n’a pas permis d’atteindre l’objectif de réduction des lésions.
Un autre problème méthodologique me préoccupe : les curcuminoïdes appartiennent aux PAINS (composés interférant avec les essais). Ces substances interfèrent avec les méthodes d’analyse et entraînent des résultats faux-positifs. La curcumine modifie la structure des protéines et possède une autofluorescence qui peut biaiser les résultats.
Enfin, les réactions de conjugaison qui inactivent la curcumine sont 4 à 16 fois plus intenses chez vous que chez les rongeurs utilisés en laboratoire. Cette différence explique pourquoi les résultats prometteurs chez l’animal ne se traduisent pas chez l’humain.
Malgré ces réalités scientifiques, les Américains dépensent environ 20 millions de dollars annuellement en compléments de curcumine, et plus de 150 millions de dollars de fonds publics ont financé ces recherches depuis 1995. Une équipe de recherche américaine conclut qu’aucun essai clinique solide ne justifie actuellement l’usage thérapeutique de la curcumine contre le cancer.
Sources scientifiques :
Aggarwal, B. B., & Harikumar, K. B. (2009). Potential therapeutic effects of curcumin, the anti-inflammatory agent, against neurodegenerative, cardiovascular, pulmonary, metabolic, autoimmune and neoplastic diseases. The International Journal of Biochemistry & Cell Biology, 41(1), 40-59.
Anand, P., Kunnumakkara, A. B., Newman, R. A., & Aggarwal, B. B. (2007). Bioavailability of curcumin : problems and promises. Molecular Pharmaceutics, 4(6), 807-818.
Dhillon, N., Aggarwal, B. B., Newman, R. A., Wolff, R. A., Kunnumakkara, A. B., Abbruzzese, J. L., … & Kurzrock, R. (2008). Phase II trial of curcumin in patients with advanced pancreatic cancer. Clinical Cancer Research, 14(14), 4491-4499.
Nelson, K. M., Dahlin, J. L., Bisson, J., Graham, J., Pauli, G. F., & Walters, M. A. (2017). The essential medicinal chemistry of curcumin. Journal of Medicinal Chemistry, 60(5), 1620-1637.





